Ni le droit à l’oubli, ni l’hétéronymat ne suffiront à faire reculer tous ceux qui dans l’ombre du nuage numérique collectent et manipulent nos données à caractère personnel, les marchandisent. Ces deux initiatives ne suffiront pas non plus à traiter tous les symptômes que nous constatons (violation de la vie privée, photos publiées sans autorisation, usurpations d’identité, manipulations et rumeurs…) car justement elles ne s’attaquent pas aux causes du problème.

La seule réforme qui tiendrait consisterait en une mesure double.

L’article 9 actuel du code civil dispose que « Chacun a droit au respect de sa vie privée ». Il est le fondement légal interne de la protection de la vie privée. Il conviendrait de transformer cet article pour qu’il devienne que « Chacun a droit au respect de sa personnalité », c’est-à-dire chacun a droit au respect non seulement de sa vie privée, mais également de son image et de tous les attributs de sa personnalité.

En second lieu, la promotion d’un droit à … l’anonymat qui découle de la réforme de l’article 9.

Le mot est jeté, mais de quoi s’agit il ?

Il s’agit que par défaut, quiconque exposerait, publierait, reproduirait un quelconque droit de la personnalité d’un tiers sans son autorisation préalable, soit en infraction avec la Loi.

On dépasse ici largement le droit à l’image (qui est déjà dans cette posture) ou la seule protection de la vie privée, mais tous les attributs de la personnalité identifiant un individu.

Bien évidemment, le droit à l’anonymat s’effacerait dans trois cas évidents :

  • Lorsque l’individu y renonce explicitement, c’est-à-dire par l’accord qu’il aura donné expressément, voire même tacitement (les juges feraient ici leur office pour caractériser en pratique ce qu’est une autorisation tacite).
  • Lorsque la justice aura demandé la levée de l’anonymat par la décision d’un juge, pouvant être disputée contradictoirement. Aujourd’hui, un dispositif législatif est déjà en place qui donne la possibilité de lever l’anonymat grâce aux traces enregistrées et obligatoirement conservées pendant un temps donné par les FAI et hébergeurs (Article 6 II de la LCEN du 21 Juin 2004 et L34-I-II du Code des Postes et des Communications Electroniques)
  • Lorsque le droit du public à être informé ou le droit à l’information doit être exercé.

Mais voilà.

Nous vivons dans une société qui a de plus en plus peur des mots.

Or, l’anonymat, c’est, dans l’esprit d’un certain public, la lettre anonyme, la lâcheté, la déresponsabilisation.

Pour les marchands, les publicitaires, l’anonymat c’est l’impossibilité de tracer le prospect, le client.

En clair, l’anonymat soit dérange, soit plus simplement fait peur.

L’anonymat c’est pourtant le droit d’aller et venir, le garant du suffrage universel, la liberté d’expression pour les opprimés et toute personne en situation de dominé voire même simplement de subordonné.

Le droit à l’anonymat, c’est surtout le seul espoir pour le citoyen de maîtriser son identité numérique contre les abus en tous genres, les marchands peu scrupuleux, les « big brother » juniors.

L’anonymat c’est aussi lui que la CNIL appelle lorsqu’elle demande à la Ratp de modifier le fonctionnement de sa carte Navigo pour respecter le droit d’aller et venir, c’est toujours lui que le législateur appelle expressément dans la Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique en imposant des mentions légales obligatoires minorées pour, notamment, les bloggueurs.

Non à l’hétéronymat, non au droit à l’oubli numérique et à tous ces concepts tièdes, oui au droit à l’anonymat.

Et s’il fallait le nommer autrement, pourquoi ne pas alors l’appeler cassoulet ?