Poser la question, c’est déjà un peu y répondre.

La Loi française est la transposition de directives européennes dans de l’ordre de trois Lois sur quatre.

Le législateur français fait rarement œuvre de création. Il traduit et transpose.

La qualité de la rédaction des textes transposés de même que les concepts qu’ils mettent en œuvre, s’en ressentent cruellement.

La rédaction claire et limpide des rédacteurs napoléoniens du Code civil nous manque ; admirons la responsabilité de droit civil et de droit commun telle qu’issue d’une Loi promulguée le 18 Février 1804 (oui, lisez bien 1804) toujours en vigueur :

« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »*

Tout est dit en quelques mots.

Le concept posé et clair.

Attardons nous maintenant sur le texte de Loi français, issu d’une directive communautaire, qui statue sur le régime de responsabilité particulier applicable aux fournisseurs d’accès Internet et aux hébergeurs :

Il s’agit de l’article 6 I de la Loi bien connue du 21 Juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, dite Lcen, transposant la directive sur le commerce électronique du 8 Juin 2000.

 »* « I. – 1. Les personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne informent leurs abonnés de l’existence de moyens techniques permettant de restreindre l’accès à certains services ou de les sélectionner et leur proposent au moins un de ces moyens.

  • 2. Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible.
  • L’alinéa précédent ne s’applique pas lorsque le destinataire du service agit sous l’autorité ou le contrôle de la personne visée audit alinéa.
  • 3. Les personnes visées au 2 ne peuvent voir leur responsabilité pénale engagée à raison des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicites ou si, dès le moment où elles en ont eu connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces informations ou en rendre l’accès impossible.
  • L’alinéa précédent ne s’applique pas lorsque le destinataire du service agit sous l’autorité ou le contrôle de la personne visée audit alinéa… » »*

Par compassion pour le lecteur, nous avons abrégé le texte de ses 9/10èmes…

Aujourd’hui, on estime à plus de 8.000 le nombre de lois en vigueur et de l’ordre de 110.000 décrets également en vigueur.

Au temps de la Loi claire, il était une maxime qui disait que « nul n’est censé ignorer la Loi »

Cette maxime avait surtout pour objectif d’éviter qu’une personne poursuivie puisse se retrancher derrière son ignorance de la Loi pour s’affranchir de ses devoirs et obligations.

Mais tout de même, ce texte posait l’idée qu’un citoyen devait être en position de connaître la Loi en général.

La mission est simplement impossible en 2014.

Et la difficulté existe aussi pour les professionnels du droit, Avocats et même juges qui s’usent à comprendre des textes que même, parfois le rédacteur n’a pas lui-même compris.

Le Décret sur la signature électronique du 30 Mars 2001, est un modèle du genre. Un seul article suffira :

  •  »« Un dispositif de création de signature électronique ne peut être regardé comme sécurisé que s’il satisfait aux exigences définies au I et que s’il est certifié conforme à ces exigences dans les conditions prévues au II.
  • I. – Un dispositif sécurisé de création de signature électronique doit :
  • 1. Garantir par des moyens techniques et des procédures appropriés que les données de création de signature électronique :
  • a) Ne peuvent être établies plus d’une fois et que leur confidentialité est assurée ;
  • b) Ne peuvent être trouvées par déduction et que la signature électronique est protégée contre toute falsification ;
  • c) Peuvent être protégées de manière satisfaisante par le signataire contre toute utilisation par des tiers.
  • 2. N’entraîner aucune altération du contenu de l’acte à signer et ne pas faire obstacle à ce que le signataire en ait une connaissance exacte avant de le signer.
  • II. – Un dispositif sécurisé de création de signature électronique doit être certifié conforme aux exigences définies au I :
  • 1° Soit par le Premier ministre, dans les conditions prévues par le décret n° 2002-535 du 18 avril 2002 relatif à l’évaluation et à la certification de la sécurité offerte par les produits et les systèmes des technologies de l’information. La délivrance du certificat de conformité est rendue publique.
  • 2° Soit par un organisme désigné à cet effet par un Etat membre de la Communauté européenne. » »

Inutile de préciser qu’il n’a jamais été appliqué.

Cette situation est devenu un problème démocratique.

Dans nos contrées, la Loi est la seule norme démocratique qui doit régir nos vies, au dessus de la technique, de l’économie de marché.

Elle est la liberté, car elle défend le plus faible et est censée établir les équilibres au sein de la société.

Comment peut-elle rendre ces fonctions, si elle est obscure ?

Et pourtant, au temps de la connexion permanente et, demain, de l’internet des objets, nous avons besoin d’elle.

Pour remédier à ce problème grave, il faudrait revenir aux fondamentaux, comme les spécialistes du rugby se plaisent souvent à le dire.

La Loi doit établir un cadre et c’est tout.

Son rédacteur doit être avare de mots.

Son concepteur doit au préalable s’être livré à une étude de faisabilité et d’impact.

Le juge sera alors capable de la faire vivre, au moyen d’un débat judiciaire respectueux du contradictoire et des droits de la défense.

C’est bien d’une révolution culturelle dont nous avons besoin dans les instances communautaires et françaises.

Alors seulement, nul ne sera censé ignorer la Loi.